24 juin 2013 – Les Echos. Page 35.
LA CHRONIQUE de Éléna Fourès,
Ce genre de situation, où un collaborateur abreuve toute l’équipe de ses déboires amoureux ou de ses angoisses existentielles, est devenu assez banal. Si c’est un comportement de courte durée, correspondant à une crise personnelle ou conjugale, c’est relativement acceptable, mais si cela devient récurrent, cela commence à poser problème.
Exalté par l’« open space » qui amplifie les dégâts, le récit répétitif des déboires privés crée une véritable pollution émotionnelle, pompe l’énergie collective, et atteint le moral de l’équipe qui le subit. Au mieux, on assiste, impuissant, à cette situation. Au pire, on se laisse gagner par les blues, le phénomène de vases communicants fonctionnant à plein régime : après le partage, la victime se sent mieux, quoique pas pour longtemps, tandis que celui ou celle qui à offert son écoute compatissante, a le moral à zéro, généralement, de façon durable.
Quand, dans un élan de générosité, on s‘improvise psy ou conseiller conjugal, on ignore qu’il s’agit, en vérité, d’une forme de vampirisme énergétique social. Comme André Malraux l’a si bien dit, dans « La Condition humaine », « la charité ne suffit pas toujours à épuiser l’angoisse » – bien au contraire, elle l’exalte. Plus la victime va mal, plus elle reçoit de l’attention, ce qui est une récompense en soi. Ainsi, sans vraiment le vouloir, on l’enfonce dans la spirale infernale.
Il est devenu socialement acceptable de déployer ses névroses légères dans l’espace de travail, au détriment de l’équipe ou des projets. Le seuil de tolérance collective à ce genre de comportement est relativement haut dans notre culture. Comment, dans ce cas, oser recadrer la personne qui va trop loin ou la rappeler à l’ordre ? Le recadrage devrait être fait soit par un collègue plus âgé, soit par le patron. Si on hésite à remettre la personne à sa place, c’est essentiellement pour deux raisons : on se projette dans ses malheurs et on compatit ou bien on manque de leadership. La dernière hypothèse n’exclut pas la première, mais risque de vous discréditer.