La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
L’image traditionnelle du Leader toujours devant « ses troupes », montrant et ouvrant le chemin, est un stéréotype qui a la vie dure. De tout temps, dans tous les pays totalitaires, tous les « Leaders Suprêmes » ont été représentés ainsi par la propagande. Curieusement, en politique, plus la « fracture » entre le leader et la « troupe » s’élargit, plus, en proportion directe, la chute du premier s’accélère.
Dans le monde de l’entreprise aussi, un fossé peut se creuser entre le leader qui s’obstine à « marcher devant » – car il considère, en termes de vision et stratégie, avoir toujours une longueur d’avance –, et l’équipe qui peine à le suivre. Cette posture, et le « gap » qui en découle, freine le développement du business et frustre les équipes.
Et si la place du leader était… ailleurs ? Le benchmark de leaders reconnus tels que Mahatma Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela montre que le leader inspirant marche, non pas devant, mais avec son équipe.
Rappelons-nous la façon dont les meutes de loups se déplacent dans la nature.
D’abord, pour économiser les efforts consacrés à se frayer un chemin dans la neige, ils marchent à la queue-leu-leu. Ceux qui ouvrent la marche sont toujours les plus faibles, ceux qui sont âgés ou malades : c’est eux qui déterminent le rythme collectif. Ils sont immédiatement suivis par 3 des plus forts qui protègent l’avant garde, constituée des faibles, contre toute attaque.
Ensuite vient le reste de la meute, puis 3 autres parmi les plus forts, qui protègent l’arrière du groupe. Ainsi les « moyens » sont encadrés par les plus forts, et en avant, et en arrière.
Le dernier à s’avancer est le loup dominant, le leader. C’est lui qui ferme la marche et veille à ce qu’aucun des siens ne soit laissé pour compte, et à ce que la meute toute entière ne s’étire pas trop sur le chemin. Il est légèrement distancé par les autres loups, pour avoir la vision, concomitamment, de chaque membre de la meute, et de la meute toute entière. Vigilant, il est prêt à bondir à tout moment, dans toutes les directions, pour défendre les siens.
C’est une belle leçon de leadership : être leader, ce n’est pas marcher devant.
Etre leader, c’est prendre soin de son équipe.
La composition équilibrée de l’équipe entre les faibles, les moyens et les forts, répond à la réalité des choses. Aucun loup ne se débarrasse des maillons « faibles » pour avoir une meute « championne », mais compose avec l’existant.
Prendre soin de son équipe, c’est combiner les membres de l’équipe en les faisant interagir ensemble, non seulement dans la logique de leurs expertises respectives, mais aussi dans leurs personnalités et caractères qui vont faire que leurs Fonctions respectives vont se fertiliser de façon optimum. Ainsi tous les membres de l’équipe grandiront, de même que leur moral, composante fondamentale de tout succès (et facteur d’échec principal de la campagne de Russie de Napoléon Bonaparte).
Alors soyez ce que les anglo-saxons appellent un « Caring Leader », et suivez le conseil d’Oscar Wilde : « Ceux qui essaient de mener le peuple ne peuvent le faire qu’en suivant la foule. ».
A FAIRE
1// Etre proche de ses « soldats »
Tous les grands chefs militaires de l’histoire étaient connus pour cela. La confiance et l’attachement des soldats sont indispensables pour gagner les batailles. Ainsi, malgré leur rage contre la stratégie de retraite face à Napoléon, les soldats et officiers russes ont suivi le Général Koutouzov… jusqu’à la victoire !
2// Cultiver le double focus
Le leader doit « voir » à la fois chaque membre de l’équipe et l’équipe dans sa globalité, pour pouvoir faire « grandir » les deux parallèlement. Soyez patient et fin stratège pour utiliser les forces et les faiblesses des uns et des autres à l’avantage de tous.
3// Lutter contre l’envie d’être en tête
Être un leader impliqué ne signifie pas être à la fois au four et au moulin. Comme le loup dominant, il est important que vous soyez légèrement distancé des opérations pour pouvoir intervenir rapidement et efficacement en cas de besoin. Le nez hors du guidon, pas d’angles morts, vous avez une longueur d’avance.
A EVITER
1// « Materner » son équipe
Infantiliser l’équipe finit par la faire régresser et se déresponsabiliser, ce qui s’avère contre-productif à la longue. Ne soyez pas béquille, et appliquez plutôt la règle de l’enseignement du vélo : tenez la selle le temps que le cycliste débutant monte à bord et tant qu’il n’est pas lancé, puis lâchez-le doucement en restant proche pour le rattraper si besoin. Bientôt il n’aura plus besoin de vous.
2// Nier les besoins personnels
Gardez-vous de sacrifier des membres de votre équipe au profit du collectif : c’est une pulsion totalitaire ! Le message envoyé est dramatique « Chacun pour soi ! ». Au contraire, trouvez une utilité à ceux qui vous ralentissent. Ils vous le revaudront.
3// Uniformiser l’équipe
La diversité d’une équipe est sa richesse, mais aussi un véritable « casse-tête » pour le leader. On est alors tenté de suivre l’adage « Qui se ressemble, s’assemble ». Seulement n’oubliez pas « Il n’y a pas une structure meilleure mais différentes structures qui sont les meilleures dans différentes conditions. » (J. Woodward).