La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
Nombreux sont ceux qui accusent les managers français de ne pas être capables de jouer en équipe. L’individualisme exacerbé est-il un virus mental collectif ou un réflexe culturel ?
En réalité, c’est un automatisme acquis à l’école où les élèves sont systématiquement mis en compétition, classés notés. Dans l’univers de l’école française, il n’existe pas de récompense pour le travail en équipe, à la différence des autres cultures telles que l’anglo-saxonne, russe, chinoise ou japonaise. Ainsi la dimension collective de la performance n’est pas engrammée sur le « disque dur » des élèves français et n’est pas considérée comme un critère important de réussite. J’irais même plus loin : c’est un « angle mort » de la culture française.
Lorsqu’ils se retrouvent dans une entreprise internationale où ce critère a de l’importance, les cadres de culture française ont du mal à marquer des points. En effet, leur « câblage mental » individualiste les pousse systématiquement à se mettre en vedette, à écraser les autres, à « garder le ballon » au lieu de le passer. Le focus et l’objectif de performance restent individuels et non pas collectifs. Leur comportement, qui consiste à jouer « contre » les autres, dont parfois leur propre équipe, projette une image d’agressivité doublée de faiblesse : ceux qui attaquent, manifestent une agressivité ou fonctionnent en mode « territorial » montrent d’abord qu’ils ont peur, ce qui est un aveu de faiblesse.
La capacité de jouer en équipe et avoir le réflexe collectif ne signifie nullement de tomber dans le collectivisme, qui est une négation des droits de l’individu et l’impératif de subordonner ses intérêts à ceux de la collectivité. Simplement, dans le monde d’aujourd’hui, la performance des entreprises exige la faculté de jouer en équipe, en plus de celle de performer en solo, car, pour survivre, la transversalité et la digitalisation sont clés. L’enjeu actuel de transformation des entreprises fait de cette capacité un facteur critique.
Inspirons-nous de Steve Jobs et de son « business model » qu’il décrit ainsi : « Les Beatles : quatre gars qui s’équilibraient, canalisant les tendances négatives des uns et des autres. Et le tout était meilleur que la somme des parties. C’est comme ça que je vois le business. Dans l’entreprise, les grandes choses ne sont pas le fait d’un seul homme, mais d’une équipe. »
Récemment un brillant patron m’a soufflé l’exemple de trois grands solistes jouant ensemble le Triple concerto de Beethoven : David Oïstrakh au violon, Mstsislaw Rostropovitch au violoncelle et Sviatoslav Richter au piano. En insistant sur le plaisir manifeste de ces virtuoses russes à jouer en équipe sous la direction de Herbert Von Karajan, il a transposé dans le monde de la musique classique « 1+1=3 ».