La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité, fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com
Avez-vous l’impression d’être tellement sollicité(e) que chaque nouvelle demande, quelle qu’elle soit, vous paraît être une agression ?
Nous vivons dans un monde économique où l’activité, au sens large, est glorifiée, à tel point que des solutions technologiques sont développées pour aider, écouter, analyser les employés et leur rendement. Dans la vie privée quotidienne, également, on nous répète sans cesse qu’un bon équilibre de vie dépend des activités sportives ou artistiques, et ne pas être actif sur les réseaux sociaux est de plus en plus mal vu… Même lorsque l’on s’accorde un peu de temps de farniente, notre cerveau est sollicité à hautes doses d’injonctions (surfer sur YouTube, poster sur Instagram, visiter, lire, regarder, etc.).
Ainsi, chacun et chacune est bombardé(e) en permanence par des données tant dans le champ professionnel que privé (messages, téléphone…). Seulement, si la quantité d’informations dans notre « bande passante » est en progression constante, la plasticité de notre cerveau, elle, est limitée. Soumis à une telle pression de données entrantes, il sature, et sa performance en est affectée, un peu comme celle d’un disque dur en « overflow ». Cela se traduit par des trous de mémoire, de la fatigue, de la fièvre, des sautes d’humeur, un ralentissement général de l’activité, voire un refus de fonctionnement. Si vous rajoutez à cela un état émotionnel négatif chronique (stress, anxiété), vous entrez alors dans un cercle vicieux qui débouche souvent sur ce que l’on appelle le « burn-out ».
Il est primordial de surveiller son taux de saturation et de se défaire des injonctions collectives d’activité permanente. Pour cela, il faut commencer par accepter qu’il y a un véritable plaisir à « consommer des données » (le développement technologique actuel est basé sur ce principe). Notre cerveau aime analyser, comprendre, prévoir, de même que notre corps apprécie l’effort physique (on parle même de « runner’s high » ou transe du coureur). Mais, comme le dit un proverbe allemand : « La gourmandise vide les poches. »…
Si vous êtes un « datavore », veillez à toujours équilibrer vos épisodes actifs de consommation de données par des moments de « digestion » ou de « jeûne ». Concrètement, cela signifie des périodes dans la journée où vous laissez votre « disque dur » tourner sans lui envoyer de nouvelles injonctions (telles « Je dois… »). Il ne s’agit pas de repos, mais d’un type d’activité différent, nouveau. Par exemple, n’hésitez pas à prévoir des plages « vides de données » dans votre journée : une pause-café sans téléphone et en silence peut suffire !
N’hésitez pas à réguler votre exposition au flot circulant d’injonctions et d’informations. La saturation est une arme de destruction massive : les hacktivistes l’utilisent lors de leurs attaques pour affaiblir les serveurs en provoquant un « déni de service », ce qui leur permet de pénétrer plus facilement dans le système. Sans régulation interne, affaibli(e)s, vous devenez une cible facile pour les personnes toxiques. Posez des limites, reprenez le pouvoir sur les outils technologiques et ne consommez que si vous en avez vraiment envie, pas uniquement par peur du vide, ou de l’ennui. Appliquez plutôt, avec humour, le principe donné par le poète Raoul Ponchon : « Quand mon verre est vide, je le plains ; quand mon verre est plein, je le vide. »
A FAIRE
1// Surveiller les « signaux faibles »
Vous avez des trous de mémoire et du mal à intégrer de nouvelles informations ? Ne diagnostiquez pas tout de suite un Alzheimer précoce. Ce sont plus probablement des signaux faibles attestant de votre taux de saturation. Pour revenir à la normale, éliminez toute source d’informations entrante et prenez le temps de traiter ce que vous avez déjà en tête.
2// Mettre des limites
La première leçon apprise par l’enfant est de savoir « où je commence et où je finis ». Faire la différence entre information intégrée et information entrante est une question de survie. Commencez par vous discipliner avec la première source de cette confusion : la technologie. Établissez des plages de disponibilité et de non disponibilité. Aucun changement perçu pour vos collègues, ressenti radicalement différent pour vous !
3// Créer des temps de vide
Partout (même dans cette Chronique…), on nous encourage à faire des pauses, à se faire plaisir etc. Pour lutter contre la saturation, « se reposer » ne suffit pas. Le fameux « temps pour soi » est en réalité du temps de « traitement » actif ! Trouvez votre manière de gérer les données (silence, travaux manuels, méditation, arts martiaux…) et pratiquez-la sans retenue.
A EVITER
1// Accélérer le rythme
Courir derrière les sollicitations ne sert à rien, sauf à accélérer le processus de saturation. Vous avez 200 mails à traiter et aucune envie de le faire ? Si c’est le 5ème fois de suite que vous vous forcez, c’est que vous êtes en saturation effective. Concentrez-vous plutôt sur une autre tâche que vous pourrez mener à bout, et avec l’espace disque libéré et la nouvelle énergie que cela engendre, lancez-vous dans le traitement de vos mails.
2// Imaginer que les autres y arrivent
C’est comme penser que les photos sur les réseaux sociaux reflètent exactement la vie de la personne qui y poste… « Il ne faut jamais se comparer aux autres. Le faire, c’est s’insulter soi-même. » (Bill Gates). Détecter sa propre saturation est difficile, alors imaginez celle des autres ! Concentrez-vous d’abord sur vous, et quand vous maîtriserez votre saturation, vous pourrez vous ouvrir.
3// Nier le problème
Penser que la saturation est liée à une mauvaise organisation ou simplement de la fatigue, est une erreur très répandue. Cela peut déboucher sur de mauvaises surprises. N’oubliez pas que « Un cerveau bien soigné ne se fatigue jamais. » (Jules Renard). Prendre soin de son corps va de soi, mais personne ne nous dit qu’il faut prendre soin de son cerveau ! Il est donc urgent de commencer dès aujourd’hui à vous sensibiliser à cette cause.